Démocrate ma non troppo

Nous avions coutume d'envisager l'avenir sous des dehors souriants, l'avenir meilleur. Cette locution signifiait pour beaucoup que leurs enfants auraient une vie moins rude, moins désespérante que la leur.

Cette amélioration passait par le progrès: progrès scientifique entraînant le progrès social et qui sait? peut-être un jour le progrès moral. Ce n'était pas une vue trop optimiste: les avancées en deux siècles étaient étourdissantes. Cela semblait raisonnable, et même logique.

C'était hélas oublier que le monde est rien moins que logique. Les quelques enchaînements de causalité repérables ne le sont que dans le domaine mécanique, animé ou inanimé. Mais l'Homme est avant tout psychique, psychologique si vous préférez et le monde psychologique reste largement inexploré. A peine en a-t-on péniblement esquissé les contours.

Nous avons quand même à disposition un instrument de repérage, un GPS, parce que la psyché humaine est restée à peu près inchangée depuis le paléolithique. Devant des problèmes équivalents, l'humain finit par réagir de manière équivalente. Le meilleur instrument de mesure des réactions humaines reste donc l'Histoire.

L'Histoire n'est pas, n'a jamais été "linéaire": les grands évènements procèdent souvent de ce que l'on nomme "l'effet papillon". L'exemple le plus flagrant en étant l'attentat de Sarajevo le 26 juin 1914: les trois nationalistes panserbes voulaient "faire un geste" contre l'Autriche; ils étaient à cent lieues de penser déclencher la Première Guerre Mondiale.

Par contre, elle semble se répéter, de même que de l'eau portée à 100° C au niveau de la mer se mettra à bouillir.

Un auteur Belge, David Engels, trace dans un ouvrage récent le parallèle entre la crise européenne actuelle et la fin de la République Romaine. Je vais vous proposer un autre parallèle, plus récent.

La découverte en 1492 de terres nouvelles posa un problème nouveau à l'Ancien Monde: ces terres étaient habitées. Le fameux Droit Romain ayant laissé des traces, les Royaumes se posèrent la question: quid de la propriété de ces nouvelles terres? Entendons nous, il était bien question de se les approprier, mais "dans l'ordre et dans la discipline", en créant un "droit de colonisation".

Les Anglo-Saxons, toujours pragmatiques décrétèrent les terres nouvelles "terrae nullius", terres "vides" sous-entendu de juridiction. Pas de juridiction: pas de titre de propriété pour les indigènes. Et hop! passez muscade, la terre était à celui qui la prenait.

Encore fallait-il les exploiter, en extraire les richesses, bref "les mettre en valeur". Entreprise à hauts risques: la première colonie anglaise en Amérique du Nord disparut sans laisser de trace. En même temps que la circumnavigation était née la Compagnie capitaliste: des armateurs mettant en commun l'argent nécessaire pour affrêter un vaisseau, mettant en commun leur capital. Les bénéfices, si le vaisseau revenait (ce qui n'était pas toujours le cas) étaient tels que ces sociétés connurent un essor exceptionnel.

Navires et colons étaient armés, ce qui paraissait naturel à l'époque. Et c'est ainsi que fut fondée à Londres la Compagnie des Indes Orientales (l'Inde proprement dite, l'Amérique étant dénommée "Indes Occidentales"). Chargée par Charte Royale de "mettre en valeur" le sous-continent Indien, une fois débarrassé des Français,  cette compagnie finit par mettre sur pied une Armée, "l'Armée de Sa Majesté" proprement dite étant réduite à quelques compagnies de fusiliers au mieux.

Oui, bon. Et alors?

Alors, les aventuriers de tous poils ne s'étaient pas arrêtés en si bon chemin. Les Portugais étaient à Macao, les Espagnols aux Philippines, et des missionnaires étaient en Chine et au Japon. Et il y avait des "comptoirs": des bases commerciales qui s'arrangeaient pour faire "le trade", les échanges de marchandises entre par exemple le Japon et la Chine: soie contre argent.

Encore fallait-il que le pays "acheteur" eût envie de ce que produisait le pays "vendeur". Pour le Japon, par exemple, pas de problème: les Nippons raffolaient de la soie chinoise, et les Chinois aimaient l'argent japonais.

Mais l'Inde apparemment ne fournissait rien qui attirât l'Empire du Milieu, ce qui désespérait les marchands (en général Ecossais) établis sur l'ilôt de Hong Kong.

Ah, si peut-être: l'Inde du Nord et l'Afghanistan voisin produisaient en quantité de la sève de pavot, de l'opium. Produit légèrement euphorisant, analgésique, stupéfiant abondamment et surtout d'une haute teneur addictive. L'essayer c'était l'adopter, et il avait nombre d'adeptes.

Et inversement les Indes aimaient le thé, produit alors exclusivement en Chine.

Opium contre thé, voilà de "bons" termes de marché et les traders Ecossais étaient tout à fait pour. Sauf que le Gouvernement Impérial Chinois était résolument contre. Parce que là haut dans le Nord la Route de la soie passait par les confins Afghans et Pékin connaissait de première main les ravages de l'opium.

Que croyez vous qu'il arriva? La sanctimonieuse Angleterre, toujours prête à donner des leçons de morale au monde, fit DEUX guerres à la Chine pour lui IMPOSER LA CONSOMMATION D'OPIUM. Pour le plus grand bénéfice des marchands anglais de Hong Kong....

Donc, l'Irak n'est pas "une première" même dans l'histoire récente. Piller le pétrole irakien pour le plus grand bénéfice des pétroliers US, avec la peau des G.I.s n'a rien de nouveau.

De même que n'a rien de nouveau l'utilisation d'armées privées: la Compagnie des Indes avait une armée privée.

Cela va, je pense, se reproduire à grande échelle dans l'avenir. Que faire des guerriers démobilisés? Les pensions, ça va un moment; l'utilisation de leurs "compétences" semble plus rationelle. AVANT 1492, qui permit entre autres d'exporter la guerre des Royaumes hors d'Europe, il y eut la guerre de Cent Ans, génératrice des Grandes Compagnies, composées de mercenaires. Ces Compagnies, lorsqu'elles n'étaient pas stipendiées par l'un ou l'autre, se livraient au pillage et se révélèrent un fléau digne des mânes d'Attila.

Nous devons nous attendre dans un avenir assez proche à l'intensification  de "guerres privatisées" où des mercenaires remplaceront les militaires "d'Etat" qui à l'heure actuelle risquent leur peau en des combats douteux et qui, naturellement "coûtent" en primes, pensions, etc... Hors sa solde, le mercenaire "ne coûte rien".

Déjà flottent çà et là des rumeurs sur l'emploi par les narcotrafiquants de véritables armées composées d'ex-militaires de tous pays. Bientôt, si ce n'est déjà fait, des multinationales pour "protéger" leurs sites à l'étranger les utiliseront. Et, la pente étant douce, elles les utiliseront aussi pour "la prospection".

Et enfin, enfin, la "guerre commerciale" USA-reste du monde débouchera peut-être sur des "invasions barbares" d'armées "Coca cola" avec tanks, avions et tout et tout, tous engins bariolés d'affriolants logos, comme dans ce film prémonitoire "War Inc".